Dilettante.
A défaut de D. tu seras le journal à la peau de sel pour mes
insomnies. Je ne veux plus t'entendre bourdonner, chut, tes bavardages
sont de l'ennui, on croirait que d'un même festin les morts se sont
éveillés. Ta bouche s'ouvre, c'est une tombe qui baille. Il faut la
clouter, la clouter de mots pointus comme des nerfs taillés par la nuit.
Elle est une serpe aux effets magiques, capables de tailler dans le
vert d'un oeil des géométries d'étonnement. A défaut de mon almanach qui
s'est égaré dans des jupes colorées, en l'absence de marbre tu seras la
pourriture sur laquelle mes doigts glissent des sons insensés. Tu
entends ? Ce n'est pas le galop du jour, c'est le délire de la nuit, ce
sont ses boules mauves et mortelles qui roulent comme des nodules. Ta
bouche je te la ferme avec des bulles de cire, c'est une voix de pape,
ton corps, tu es le papier jaune et muet des iniquités.
Assassine, va mordre avec ton visage de plastique vert, avec tes désirs de nylon, dans un étranger. Je veux, je veux ton front terrassé, les poèmes purs, je veux, les baptêmes dans des lacs taris, trois minutes sous l'eau, j'ai respiré l'oxygène des noyés. Mon sang remue en agonie. Et ma vie absente. Suis-je ici ? Est ce que j'apparais dans vos réalités. Je sais, je sais, dehors il y a des secondes qui s'écroulent, et tous les morts dedans, qui pleurent. Je sais, j'entends les cris du temps, l'horloge qui se plaint sur le moyeu de l'horloge aux chiffres froissés. Je sais, les feux iconoclastes, les transes des barbares, je sais, je sais les cris, la furie, et le prénom de l'abandon. Est-ce que j'ai un corps, encore ? A répéter des prières ? Est ce que j'existe ? non. ce que vous voyez à mes pas, c'est un orphelin. je suis un orphelin, sur la scène, je m'adresse à vous. Mais je n'existe pas. Je suis un enregistrement. Je passe en boucle. je suis une tirade qui n'en finit pas, au milieu de la scène, de succomber. Je suis tous les héros morts,toutes les villes défaites, je suis Rome, Carthage, Constantinople, je suis Paris, César dans la trahison de Brutus, je suis Hamlet au sang blême, Rodrigue aux spasmes.
Si je n'aime plus, si je ne suis pas amoureux, je disparais tout à fait. S'il te plaît, toi, toi que je sais, toi qui sait bien désormais que je t'aime, ne m'en veux pas. Ne m'en veux pas des étrangetés du ciel que je rabote, des orages en sucre que je fais décroître comme une vulgarité. Ne m'en veux pas de l'écrire et d'en priver, ne m'en veux pas de t'inquiéter, ne m'en veux pas de te faire revenir ici, dans tes pas silencieux, on croirait que tes yeux me lisant dansent, ou épient. Aimer, c'est ma seule réalité, c'est l'apparition soudaine de mes organes, je me sens des reins de vapeur, je me sens un coeur de friche, je suis prêt à l'éducation, prêt au labeur, je suis prêt, je sens mon être fleurir, et mes narines de coquelicot et mes côtes de Rhône, je sais mes mains d'étamines et mes poumons d'aube. Je suis en train de pousser. Attends, s'il te plaît, j'ai le corps qui se remonte, tout l'amour est ma fabrique, et mes yeux fument.
Tu sais. Je n'ai que deux champs, que deux horizons, les bois, et la mer. Je suis le pin sec et la marée inflexible. Je recouvre. Obstiné comme le ciel. Tu sais. L'aube maline, avec ses teintes amères, vieillies en fut, tu sais son visage de pourpre. Quand il sèche, quand il casse, que c'est le jour tout à fait, je te dis, le bleu de la mer est le vin séché du matin. Qui lui coule dessus. Qui empiète. La marée est une nappe.
A la jointure des deux, les sutures de mes mondes, c'est l'algue, l'algue empoisonnée, l'algue violette qu'on ne mange pas, l'algue aux milles blessures, le mortel onguent qu'on applique aux plaies satisfaites. Je sais mon étrangeté, et mes silences brusques. Je feins des départs. Mais je n'existe pas. Je fais semblant. Ici, mon ombre imite un corps. J'emprunte une attitude. Je me positionne dans le train dans l'angle bizarre de vos désirs. Comment désire-t-on un corps humain ? J'ai fait des amantes un jeu, j'ai fait des amours une guerre. J'ai deux-cent-vingt-huit filles qui m'ont joui dans la peau. Je n'ai rien senti. Le vent. Les caprices. J'ai tout oublié. La mémoire se décompose, c'est un corps usé. Les souvenirs se dégradent. Les souvenirs sont de la poésie écrite à la salive des merles. Je prends vos formes, j'emprunte à la matière. Quand je couche avec une fille, c'est pour y piller un peu de l'odeur que son cou entrepose. Quand j'embrasse un garçon, je lui dérobe un peu des muscles superflus, tendus au-dessus de l'extase. Je n'ai pas de corps. J'ai une apparence. Ne me touchez pas, l'hiver pâle, grésillant me couvre et me découvre. Quand je souris, c'est que j'ai vu à l'intérieur de vous, des civilités. je suis un acteur. un acteur sans corps. je suis le costume. Tu sais. Toi, jen e parle plus qu'à toi, je n'écris plus que pour toi. J'ai toujours été absent. Mon absentéïsme me définit, me construit. Je n'ai jamais été présent. Ce qui me recouvre est un habit d'Arlequin fait de pièces de toutes les époques, je ne le veux pas joli, je le veux utile. j'ai le corps efficace pour le scandale. La seule chose que je partage avec vous c'est une voix. Une voix que je drogue, le matin, pour qu'elle perde de son influx de cavernes, qu'elle semble de votre époque. Je puise dans vos usures, le sortilège de l'habitude. J'imite bien. J'ai vingt-deux ans de voilures. Je suis une corvette. Avant de monter dans le tramway, pour faire de la place au milieu des empressements, je la fais s'exercer ma voix, suer son arrogance, transpirer sa sauvagerie. Je peux être normal, dit mon sanglot au reflet. Je peux vous imiter, je peux me rassembler, je peux me concentrer, mettre dans une fiole de chair, toute l'essence dispersée de moi-même et en classe y mettre le feu. Toute les nuits j'immole.
Je fais des études inutiles qui sont la fiole de mon existence. Un lit. Je me renonce, tous les jours. Je fais un pas de côté hors de moi-même pour appréhender cette dimension particulière, du faux. Les paroles synthétiques. Comment leur dire. Je sais la couleur du mensonge, je suis synesthète, je ne sais pas ce que vous dites, je ne suis pas intelligent, je comprends la nervosité, je vois en rouge le mensonge.
Ce que je partage avec vous, ce qui nous est commun, ce qui me rend humain, n'est-ce pas d'avoir une voix. une voix qui fléchit, qui décline, à deux heures elle a des allures vermeil et des ivresses de Bordeaux, avant elle est douce, avant ma voix caresse, tord et vrille. Je sais faire vos sourires, je sais faire vos joies, mais je ne sais pas la colère. Apprenez moi les teints honteux, apprenez moi les manies, apprenez moi à être laid, et bas. Ma voix, je l'exerce, je la jette dans une foule, et je regarde comme elle se débat, comme elle pousse, comme elle crie. Je la regarde gesticuler, ma voix. Se déformer, se sublimer dans le contact de vos atmosphères. Tandis que mon corps d'éther suffoque. J'ai des sens, je vous conquiers par les sens, mais je ne suis pas là. Je n'ai pas de corps. Ma mère m'aimait si fort, qu'à la naissance elle a retenu dans ses ovaires la matière, elle l'a retenue, et n'a laissé dehors que l'âme, que l'idée, de moi, la voix, et les nerfs. J'ai deux petites soeurs et un petit frère, et je vois, en rassemblant leurs géographies, mon corps. Je suis absent de moi-même. Je me vois. Les dîners familiaux sont une caverne de miroirs. j'ai trois reflets mais pas de corps.
La bouche de H. recèle mon crime quand elle baise mes lèvres. Elle jouit d'une escroquerie. Je suis imprescriptible. Je dis, elle a la tendresse délictuelle. Mon corps je l'ai soustrait à un mort. Je me suis déterré le visage. Il ne le sait pas, le mort, que je lui dérobais son corps, je lui disais, quand il flottait en jouant des lyres sur son marbre, que j'étais un ange, un ange au visage de tentation. Je lui disais, il faut le laver. Je lui disais, ce corps, j'y ferai une nouvelle onction, la salive des filles. Depuis je cherche les regards bleutés qui vibre comme des électricités. J'aime les yeux bleus, on croirait le vingtième siècle dans la nuit.
Je suis fascinant. Mon absence est fascinante. La lumière disparue, chérie, dessous son mythe d'aurore. Je suis fascinant et je vous vends mon orgueil. Il vaut une fatigue. A la première enchère au goût de sommeil, je me cède. Au premier pas de torpeur, j'abandonne. Offrez moi un corps, vos lits-cimetières. Vos chairs tombales que j'y pourrisse avec vous.