——Bip
Bip Bip. Dans les chambres d’hôpital, ce bruit monocorde
berce les oreilles fatiguées. Il est là, clair, net,
clinique. Clinique, on ne pouvait trouver plus juste, parce que le
son est dépouillé de tout coeur, de toute intensité.
Vide, tellement vide qu'on l'imagine macérer dans le formol
qui attend les futurs dépouilles.
Pourtant,
il est le seul frémissement, la seule hésitation de la
nuit hors les pas des infirmières pressées de se
rasseoir pour lire. L’une d’elle là, essuie le gras de son
beignet sur sa blouse rayée rose, et feuillette un magasine.
La couverture ressemble à un arc-en-ciel et contraste d'avec
la sobriété du lieu, avec les murs blancs allongés
à l'infini faisant croire un asile.
Elle
tient fermement le bout de papier de sa main droite. Pour alimenter
ses potins, tandis que la main gauche dans le plus pur mouvement
onaniste alimente son estomac. Le papier jure qu'il livrera ses
« révélations ». Il ne s’agit
pas d'une incantation divinatoire pour expier le mal des âmes
meurtries ou de livrer enfin le moyen prophétique
d'anesthésier toute douleur sans piqûre, sans étourdir
le corps et lui laisser les stigmates des insomnies sous les
paupières.
Non
la révélation traite de quelques jambes qui se mêlèrent
l’espace d’une nuit, s’heurtèrent à craquer le
plafond voisin. Deux corps esquintés, pour des esprits
pareillement tourmentés. Guère plus, au final, que des
chairs à mâcher, qui s’enfilent les unes aux autres
comme une bague au doigt d'une mariée trop frivole. Avec le
même romantisme feint, la même fougue de rompre. Rompre
la monotonie d'un côté, Se rompre le cou de l'autre.
Détacher la liberté du piquet auquelle elle est
amarrée. Un oeil exercé a d'ailleurs remarqué
que les alliances de nos deux corps emboités dissonnent.
L'infirmière aussi, ce qui lui arrache un « T. ne
va pas le croire ». Pénible syllabisation de son
aérocéphalie.
Bip-Bip.
Le cardiogramme n’arrête pas. Le son se propage dans l’air.
Il ne claque pas. Il se dépose. S’étend, gluant comme
les heures passées dans cette chambre trop exiguë à
espérer le réveil improbable. A parler des heures à
des yeux clos, caresser ses mèches tombantes et laisser
glisser quelques gouttes de coca-cola sur les lèvres
meurtries. Espérant le frémissement, le choc émotionnel
qui affranchiraient de l'absence continue. Du manque informulé
parce que ce manque est allongé, avec la béatitude du
mort. Dans un ailleurs qu'on ignore. Peut-être l'âme
s'échappe t-elle des prisons de chair et scrute les alentours,
et hurle qu'elle est là, hurle pour prendre rendez vous avec
les vivants. L'âme ignore que le plupart de celles de ses
contemporains sont déjà vendues à l'ambition et
aux carrières. L'écho est absent. Les vitres ne
tremblent même pas à l'idée d'une âme, d'un
fantôme, à rebours de toutes les conceptions spectrales
prophétisant des explosions de vitre et des retours de flamme.
Preuve que les croyances sont toujours erronées.
Le
parc qui jouxte l'hôpital en est sa prolongation. Le toit en
moins. Il ne faudrait pas faire croire aux convalescents qu'ils sont
en vie, qu'ils sont saufs. L'avenir n'appartiendra que trop rarement
à ceux sous chimio. On les laisse, alors, avec la douce
torpeur d'une fontaine qui pisse 3 goutelettes insultant le flot du
Manneken-Pis de Bruxelles. Pour l'illusion de la vie, sûrement.
La sensation d'un monde au ralenti dans lequel ils évoluent à
leurs rythmes respectifs. Rythmes de brebis se dirigeant droit vers
l'abattoir. Le meurtre a un autre nom « infection
nocosymale ». Moins glamour que l'euthanasie.
La
nuit, quand la météo est un peu plus capricieuse et que
les gardiens ne font pas rouler leurs yeux ronds et vide sur le ciel,
le vent chantonne et fait tournoyer la poussière, bouscule les
branches des arbres trop fragiles. Qui dansent, dansent narguant les
téméraires sous dyalise qui bravent l'extinction des
feux. De toutes façons, le leur de feu est déjà
éteint. La vie aussi. Peut-être. Ou les flammes sont
froides.
Un
peu plus loin, les réverbères crépitent, leur
sève électrique consume la lampe, et quelques amoureux
transis, trop ivres pour rentrer à pied et les poches trop
étroites pour héler un taxi s’accrochent et
s’enchaînent. Se font prisonniers consentant à la
lueur des étoiles essouflées. Les bouches s’emmêlent
comme les balbutiements de l'enfant qui goûte ses premiers
mots, les mains furètent, touchent, aiment. Le son qui monte
de la gorge, ne dérangera pas. Il y a de la vie, ici. Derrière
les grilles de l'hôpital, qui se rythme aux pénibles
« Bip Bip » de la nuit installée. La
sagesse populaire a du bon. « Le calme précède
la tempête ». La fureur du devenir s'élève
de l'être abattu. La flamme se substitue à la bile
noire, et...