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26 juillet 2011

L'adieu - 17 juillet 2011

Je ne sais si tu lis encore, et si tes yeux de mésange assombrie s’ouvrent encore assez pour en faire passer les miettes de chant. Si entre ses ailes la poésie enroue toujours sa silhouette. Je ne sais plus ton visage, odeur que je perds. Mais je sais les mots qui prennent la forme de toi. Cette argile humide où tu peux imprimer toutes les forces inusées de tes yeux d'amande, où la couleur mendiante des pumas mexicains est tombée dans ton cou pour te faire une écharpe de cheveux. Je peux réciter les caractères sacrés de cette messe que je ne t'ai pas célébrée, ces manuels calcinés, reliés par du fil à coudre. Je mâche ton souvenir, goût d'écorce amère.   Il y a ces existences dont on sait mal ce qui un jour les fit assez proches pour que le souffle devint une même masse, ces existences qui n’ont de commun ni le sexe, ni la voix, ni le théâtre et qui une pourtant, à l’aitre d’une fuite, se mirèrent dans la même nuit, grelottèrent du même froid. Sous les pas de la montagne, le poumon de la ville crevait de songe. Le fleuve coulait dans le chant des oiseaux endormis. Nous étions seuls, et la ville baissait la tête dans le silence, les puits de sommeil creusaient nos yeux. Mes cernes faisaient un peu du jour qu'imitent les viennoiseries du demain.   Ces vies je les aime trop voir disparaître et les espoirs se fâner, pour en prendre dans moi le soin utile. Il y a un cloître plein d'odeurs fascinantes et que mon désordre agace en un pré d'herbes folles, de fleurs mauves et cruelles. Il y a des arbres dont les racines plongent jusqu'en enfer pour boire l'eau des fleuves d'oubli, c'est de ce malheur que je veux faire un jardin, ce sont ces parfums qu'à ma boutonnière j'attache dans un nœud compliqué. J'ai des médailles de cette féerie, des lustres, des brillants et un peu du bleu de toi, que je pille quand tu tournes la tête, si tu y laisses une trace dans ta nuque.   Nous eûmes et toi et moi, une nuit (quelle nuit ?) la même stupeur qui nous perlait dans le visage, les doigts paysans retournant nos timides façons, des plants incréés et mûrs nous dissimulaient de leurs ombres paresseuses. J'ai bu l'ombre des vignes pour m'enivrer de soleil. J'ai bu à toi le jus de cassis du tard. J'ai bu la panique au fond de la gorge.   D'avoir relu nos échanges, je me dis "je suis ainsi qu'un aveugle, je ne vois jamais rien de ce qui,  évident, se dit timidement". Mais j'aime ces choses de défaites, j'aime ces plaines de brume où le pas aveugle marche sur son amour en le voulant sauver. Et doucement, les voix balbutient de crépuscule, on souffle dessus et la petite boule de chaleur qui leur brûle encore au front s'en va, s'en va, s'en va, il n'en restera dans l'air plus que le fantôme. Nous en ferons des rêves. Il reste la nuit. La terre du poète. Sa solitude.   Je sais mal ce qui aurait pu être de toi, je vois mal les minutes d'après l'instant présent et le ciel qui viendra plus tard couvrir la nuit de ses baisers. Je ne sais pas voir plus tard que maintenant, et de chérir les corps imprécis de l'incertitude, je ne sais ce qui se peut. J'aime ces roches informées, ces endroits que je ne connais pas et qui auraient pu être, ce fleuve où mes cheveux se mélangent aux tiens nulle part mieux que dans mes songes. J'aime ce qui n'est pas, ce qui n'aurait pas pu être. C'est-à-dire toute l'imagination, cette berge de rêves, où les mains des passantes sont lourdes de magnolias, où les enfants jouent avec des billes de Rhin. Où ta bouche s'est détachée en sourires, où elle s'est allégée du cri qui fardait jusque tes yeux pour mon agonie à venir, pour les journées où, immobile, sous un porche, je résiste comme une digue à la mer des souvenirs qui me fendille d'oubli. Je ne sais pas ton passage indifférent près de moi, ni si ta robe m'aurait frôlé ou tes doigts ignoré. Je ne sais pas, et j'ai la tête qui tourne des disputes que nous n'eûmes pas, du reste de tes ongles dans mon cou après que la nuit furieuse se range dans ce fantasme là. J'ai pour ces blessures là des pansements d'enfant. Ton rire.   Il y a l'adieu auquel je me prépare, j'aime tant les adieux que souvent je les fais longtemps remuer dans la gorge, je les secoue, je les corrige, je les avale par minuscules foulées, j'en croque tout l'autour et laisse le cœur frémissant, nu, de son biscuit protecteur. J'entends le vent qui s'y mélange, et d'un dernier murmure, avec le muscle d'un nouveau-né, je l'expire, l'adieu. Il y a encore le temps, mais déjà dans le couloir étroit de l'existence nos pas s'oublient, je ne sais pas le "la" de tes talons, tu ne sais pas les notes graves de mes semelles de vent. Je marche sur des périples, il y a une jungle ici, dans laquelle mes doigts jouent, la musique est sévère, c'est le crochet d'un serpent malade qui écoule dangers par dangers le venin de son écaille.   Adieu, il y a plus de jour dans ce mot qu'au 21 juin.
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19 juillet 2011

A Sim Reap je pose le corps

Quelle chance tu as. D’avoir un corps si ample qu’il peut accueillir autant des détresses masculines, féminines qui dans le monde se tendent au bout des pleurs. D’avoir un corps qui a le poumon si grand qu’il a bu à tous les airs des gorges expirées. D’avoir tant de matière que tu as dansé sur toutes les scènes que sont les autres corps. Je le dis sans ironie, sans moquerie. Je le dis sérieusement. C’est un bonheur que je ne me sais pas. Partout si je me palple plutôt qu’un corps je me trouve une névrose, une idée, un drame. Ce que je mets à l’expérience des autres, au péril du regard étranger, de la caresse amicale qui prolonge trop loin les yeux des filles que je chéris, c’est une déraison. Une masse de nerfs lourde. Je me dis, me voilà, moi mais je n’apparais pas, je suis ainsi que ce « corps sans organe ». Si je ne suis pas catholique de n’y croire pas, dans cette absence, une chose coupable, l’héritage sacrilège d’un péché primordial, je ne me sais pas un corps comme le tien, à l’autre bout du sacré –et toujours sacré, j’insiste, je ne moralise pas- entre les deux, dans l’amplitude du corps supplicié et du corps jouissant, et du corps jouissant et du corps supplicié confondu, je ne me trouve pas. Voilà une cosmogonie sans ma planète, je ne me cherche rien de plus qu’à peine de lumière pour avoir chaud dans le noir, pour y voir rouler les cheveux des belles, à peine de terre friable pour y écrire ce grand cri que sans corps je ne peux pas pousser.

Mon corps, souvent, de le sentir en tant qu’il est une absence, en tant qu’il ne m’appartient pas plus que mon extérieur, s’efface. J’oublie de manger, de dormir et de baiser. Je peux avoir les belles formes du repas de noces, ou la nocée elle-même, que mon corps absent au monde, absorbé par des figures qu’on ne voit pas ici et qui pourtant ont de grands yeux farouches, des dents qui quand elles se rencontrent chantent un « la » grave et qui, étreintes de peur, peuvent faire monter de dedans la mâchoire des fugues belles comme le dernier verre du condamné à mort, délaisse. Je peux avoir toutes les tentations du monde et n’y pouvoir succomber de ne les deviner que sous l’entrave de toute cette mystique poétique.

A la négation de mon corps, je me suis fait, avec des anonymes que je rencontre quand il est tard et que mon être a passé dans tous les chas de l’ivresse, un jeu idiot qui les insulte, si la raison leur vient. Si j’arrive avec mes reliquats d’attention à me glisser dans leurs vies. Si je franchis poliment le seuil de leur chez elles, plutôt que les embarrasser de baisers, plutôt que m’agiter dans la danse frénétique qui à la même heure se fait cent mille fois au moins dans Paris, je sors de ma poche de petits papillons adhésifs multicolores, et je les dépose sur le corps de cette promesse aux endroits du plaisir. Sur chacun de ces post-its je note le nom d’une action, là « baiser », là « toucher » là « mordiller » et de m’écrier, devant la stupeur qui la gagne, « c’est la poésie qui te fait l’amour cette nuit ». Oui, la poésie qui n’a pas de corps, qui flotte là dans son habit de fantôme, de rimes incertaines qui pendent au nadir de la nuit, qui balancent dans le vide de l’alexandrin s’il se faut des vers nationaux, bien réglés. Si l’amante sans corps de la nuit a le prénom de France. Demain, demain, je baiserai avec un sonnet.

Alors, oui, tu as de la chance, d’avoir le corps assez léger pour qu’il ne casse pas dans le monde, et assez dense pour qu’il y apparaisse, qu’autour de tes doigts les sexes se durcissent, que dans ta bouche ils dénouent leurs joies si minutieusement préparées pour s’éclore en lys blancs écrasés. Je t’envie, sincérement, de pouvoir faire de ton corps et le jeu, et la vie, et le sérieux, et de passer, selon l’éclairage, d’une voix à une autre, de pouvoir participer à tous les sortilèges du monde, grimper sur toutes les estrades, et t’écrier d’un corps unique « je suis multiple ». Quel bruit fait un corps qu’on piétine avec son propre corps ? J’ai déjà alourdi des pas aimants de larmes, j’ai déjà fait gonfler une poitrine tendrement éprise de cris horribles, mais ce n’était jamais par mon corps, que j’aimerais dire « mon scandale », c’était par mon absence, par cette mort permanente qui ne peut que tourmenter. Je porte bas mes cernes, j’ai des choses à cacher. Elles sont compliquées comme un maquis. J’ai le corps parfois réel, et s’il est réel je le crois sordide, le désir me complexe, et cette maladresse d’être, cette étrange façon de se comporter dans un autre corps que soi-même me pétrifie. A peine me consolé-je de trouver mon propre corps, que j’en apprends les complexes mécaniques que déjà je dois débrouiller dans un autre changé, exigeant. J’ai baisé mille fois, et ce fut toujours la même pitié. Je n’ai de virilité que mes rimes, c’est heureux, le corps ne m’humilie pas, et pour consoler la toute belle je lui raconte « ce n’est pas ma faute, je suis un enfant, je ne l’avais pas dit ».

 

Ma chambre est ainsi que moi, dénudée. J’envie ces gens là qui peuvent s’approprier un espace tangible et à travers lui posséder un autre corps, une autre silhouette, une émanation d’eux que voilà. Peut-être n’en est ce qu’une odeur, une impression, une rémanance, mais c’est quelque chose d’eux, quelque chose depuis le corps, qui a pris appui sur la chair humaine, mobile, mouvante, qui vient du mouvement des doigts, du tintement des mains. Tu as un corps et mille attributs pour ce corps.

 

Je n’ai que le rêve ; l’infini j’en ai fait le tour.

17 juillet 2011

Mes rimes ont les cheveux blancs

Je n’ai jamais eu peur de la mort. Malgré tous les attributs dont on la pare ; ni sa voix qui résonnait dans les contes avec des râles de cauchemar, ni la soie livide qui déguisait son visage, ni son pas pesant de soldat haineux. Je n’ai pas peur d’elle. Ni de son arrivée imprécise, ni de son imminence. Depuis petit je me suis habitué à elle, j’ai appris son pouls régulier, son geste imparable, sa démarche de marée, ses cernes. Pourtant, quoi que sans crainte de son apparition je ne veux pas mourir tant que l’illusion de n’avoir pas tout organisé de mon désordre ne se sera pas dissipée. Je suis trop bien élevé. Je ne sors pas sans avoir rangé ma chambre ; je ne meurs pas avant d’avoir mis mon existence en ordre. J’ai une œuvre à faire endurer au monde.

I



Je suis un échoué, j’ai du sable plein la bouche. Aucun des bancs ne me permet le repos. Chaque fois que je m’assieds sur un siège qu’on dit à plaisir, qu’on dit à profit,qu’on dit à ennui je n’y rencontre qu’une absence. L’absence de moi. Je ne me rencontre ni par-delà le sommeil, ni par delà la conversation. Mon corps est une chose impalpable, irréelle, absente au monde et que les autres, pourtant observent; rencontrent, affrontent, il est autour des épithètes d'individus qui s'y viennent trouver de quoi se former jusqu'en phrases. Ce corps, cette absence de corps me fait une névrose qui me sert d’interface aux autres, c’est à travers une déraison que je me manifeste, je deviens concret de la médiation d'une folie. Je me prétends toujours un destin d’écrivain, je l’imagine gai s’inscrire dans toutes les bibliothèques, j’ai vu déjà cent fois mon geste se crisper avec scrupule sur un billet offert de félicitations. Je sais déjà le sort que je réserve à ma gloire, tous les soirs je m’endors de ce crime dans la pensée. Je la sais cette vestale incréée prête pour moi à toutes les crémations, j’ai déjà creusé dans ma paume les caresses à lui nouer, les ailleurs à lui montrer. Je cultive dans l’intime, le houx et les ronces à attacher à sa gorge, le matin du poète pour faire frissonner ce que j’imagine demain ses boucles de soir. Je me sais déjà une gloire plus grande que la gloire permise par les sociétés littéraires, par les qualités toussantes des particules du prix. Si l’on me fait un honneur, demain, je monterai à la tribune. Je déchirerai toutes les pages du discours. Je scruterai l’audience, je déchiffrerai bien tous ces corps, et j’en désignerai un, celui-là le plus certain, le plus égoïstement regroupé sur lui-même, parce qu’il prendra le mieux à l'incendie. Je le regarderai et je m’adresserai à lui. Je lui dirai « M., ce discours je vous le dédie, ce prix je vous le dois. Ecoutez moi, avant de vous rider d’un sourire, écoutez moi. Votre prix je n’en veux pas, pourquoi m’en soucierai-je, moi que l’Histoire attend. Elle serait bien fâchée d’apprendre que vous fûtes de mon entourage, que vous désignâtes mon être de ces lèvres tombantes dont elle n’aura retenu ni la voix, ni le prénom, ni le vulgaire. » En attendant la gloire, tous les jours on m’appelle pour faire se disperser ma solitude, pour me mélanger à la fureur des corps qui se choquent et se bousculent. J’ai le bonheur silencieux, un bonheur de messe, un bonheur sacré, qui a des pas limpides et légers. Mes amis ou plus justement, les gens que je fréquente ne peuvent l’entendre. Ils aiment à me voir dans ces endroits où je deviens, avec la fatigue, avec le péché d’ivresse un autre que moi, ou d’un pas audacieux je peux soudain me rapprocher de leurs certitudes aux cheveux lisses, plaqués en mèche sur le front. Mon comportement devient de leur ordinaire, ma grâce timide se scelle sous les baisers de l’orgie. Il m’est arrivé dans ces nuits imprécises de me découvrir, au matin, l'encre d'un prénom féminin à demi-effacé d’angoisse et de sueur. Un prénom de n’exister plus qu’à peine d’avoir toute la nuit vidé dans le cri son existence, son plaisir et sa honte. J’ai sur le drap de mon corps des taches de couleur, des restes d’yeux bleus coulés là dans un murmure. Je me réveille avec un parfum qui semble réciter une prière d’abandon, une incantation vieille de trois millénaires pour clore la bouche des fantômes qui la nuit sur un lit se sont trouvés des rires ou des joies. Le dimanche l’angélus ne vient pas changer les couvertures que je dérange. J’ouvre la porte lentement, je ne fais pas de bruit contre les portes encore battantes de la nuit. Dans le ciel le rouge n’a pas encore tout bu du sombre, il reste dans le fond du ciel de cette couleur mignonne qui force toutes les audaces. J’ouvre la porte, toujours du même geste insatisfait qui n’a vidé de moi aucune horreur. Tous les monstres, je veux dire toutes les pensées, toutes les forces avec lesquelles je suis venu au matin se distraient toujours sous mes paupières. Je recoiffe mes cernes dans le reflet incertain que me propose la vitrine des premiers commerces. Je veux aller dans cette nouvelle journée avec tout le charme de mon désespoir, avec toute l’élégance possible de mes manières de déshérités. Là, voilà, le maquillage de la détresse, cette lèvre fendillée par les dents de la nuit, ces yeux profonds d’avoir pris au cauchemar son hurlement.

II



Je vais pouvoir me rendre à la rue heureux de mes dépits, et fondre ma voix dans le chant des cloches matinales.

J’ai l’angoisse des années qui passent. Je regarde mes vingt-ans, je les poudre, je les parfume. Le matin je passe le rasoir sur les poils trop drus pour me garder la douceur innocente d’une puberté neuve. J’ai peur dans le miroir de mon visage qui se brise, des traits qui de lassitude s’estompent et se durcissent, forment des lignes fières, entières, comme les frontières barbelés d'un Etat militaire. A la sortie du lycée je viens regarder les dix-sept ans des adolescents avec des yeux jaloux. Je me trouve partout des parodies. Je murmure dans moi-même « voilà ce qu’on en fait de mes dix-sept ans ; une parodie ». C’est avec mes gestes de dix-sept ans que je vais ramasser dans mon corps de vingt les jolies enfants qui toussent leur cigarette sous le porche du lycée et étouffent comme dans une mer profonde, dans l'écume de la bière. Elles ont toutes mille histoires à raconter et que j’aimerais leur faire vivre, donner à leur bouche menteuse, l’amertume de la vérité. Plutôt qu’offrir, quand nous fuirons le groupe de ces demies-innocences, des roses, des fleurs, des parfums, je lui donnerai à sucer l’aubépine en fleur, et mâcher l’écorce difficile des racines exotiques. C’est le goût de la vie, c’est l’odeur de tourment que tu trouveras partout, après que ton âge ne te sera plus l’excuse de rien. O. est une toute petite que j’ai déchirée avec les dents. Elle portait ses yeux bleus comme on porte le scandale. Le premier jour que je l’ai vue, dans la rue A., elle lisait Dostoïeveski avec toute la concentration possible de ses yeux angoissés, ses genoux se touchant pour faire au livre un support, et son dos plié, faisant deviner une bosse dessous son cou replié. A ses joues d'avoir, comme les jolies filles, de le pratiquer régulièrement, souri au crime, ses joues se paraient d'un écarlate coupable. Ses yeux, relevés de sa lecture, des petits caractères en désordre, disaient la culpabilité, le remords, l’angoisse du vivre et cette prison intérieure qu’avant même que la police ne vous entrave les poignets, que les juges ne vous jettent dans leurs officielles cellules, vous garde et vous retranche du monde.

O., ô tes larmes, fontaine de jouvence. Merci pour tes dix-sept ans, je les ai tout bus. Si tu fanes de sécheresse, si tu sens tes cheveux qui cassent comme l’algue des basses marées, c’est d’avoir vieilli. Le temps de tes sortilèges doucement s’éteint. J’ai bu ta liqueur, j’ai fait rouler toutes les gouttes de ton âge dans moi, j’ai pris à tes maladresses des forces et des formules, sur ton corps sans douleur j’ai puisé le repos, les forces, les scintillements de moi si rares qu’on les dit éteints. Je me suis baigné de ton âge. Ma colombe éventrée.


III



J’entends dans l’escalier ce pas qui au matin m’éveille en joie. Qui diminue discrètement quand je mime de ne pas l’entendre, ce pas qui se dépose sans poids au parquet, qui enjambe les grincements du bois. Ce pas toujours couvert de la discrète inquiétude des amoureuses. Je l’entends, et j’en sais toutes les variations, je le connais mieux encore que la parole qui, de fatigue, s’étiole en murmure. Je le sais dans son intensité maladroite des joies à partager, je le sais mieux que tous les sons de la ville, de ne l’avoir qu’à moi dès huit heures du soir, et d’en apprendre le silence quand l'ampoule du salon balbutie moins intensément.

J’entends ce pas que trop souvent j’alourdis de pleurs ; j’entends la minutie avec laquelle elle déplace son corps jusqu’à l’entrée. Je ne quitte pas la chambre, je suis à demi-couvert, j’imite la posture du sommeil. J’entends la porte qui s'entrouvre, la ferrure qu'on claque délicieusement. Le jour qui se retire de la chambre. Ses talons qu’elle déchausse. J’entends ses soupirs, la fatigue d’une journée inutilement gâchée au dehors, pour quoi déjà ? Elle n’en sait rien, elle a rencontré des hommes, des femmes, elle a feint l’engouement quand ses interlocuteurs balançaient les bras et les idées, quand les chiffres dans leurs bouches s’animaient avec plus de vigueur que le baiser des jours de mai. J'entends. J'entends. A mes sens musique charmante, plus encore que l'opéra à l'ouïe du musicien.

Elle entre dans la chambre. C'est la nuit.

6 juillet 2011

Le jus s'écoule obscurité de nos secrets.

 

J'ai des amours aux prénoms courts d'un soir. La nuit efface le frisson qui me guide à leurs détours. Les fleurs que je tiens, dans le vase de mes reins, éclatent sous la rivière amoureuse. Son courant geint de l'étreinte. Le rivage de nos lèvres est trop fragile pour le souvenir. Il s'y noie, le poumon gorgé de l'eau trouble du baiser. La porte grince, résolue déjà d'adieux. Il y a dans ces draps des idées et nul destin.

 

Déjà, demain ne se souvient pas : le jus de nos rires trempant la rue, les ombres où nos gestes maladroits d'alcools dérangent le sommeil jusqu'à la trêve. Déjà demain a le parler machinal de ces nuits d'avant l'écarlate aux mains, les rides aux muscles, déjà ces sueurs communes, ces fatigues se dispersent, chaque course s'oublie dans sa mesure.

 

J'ai connu ces amours aux paraîtres nostalgiques, le crachin des baisers oublieux y forme les pigments de l'intime et répètent accordés « J'ai la couleur de l'oubli. »

 

J'ai su ces stupeurs matinières de faire pencher mon bras au rebord d'une habitude de solitude et y découvrir le gésir d'un corps plein des cheveux des muses. Je n'ai jamais au réveil les bons ciseaux pour y découper les rimes. La poésie saignera sur les poitrines de ces abandonnées, le café gâchera le reste de leurs parfums. Les oiseaux suffoqueront le matin par la fenêtre, et sur la branche tordue de dimanche et sous leurs plumes il y aura une voix, la voix rauque d'un amour visité de la mélancolie du minuit. Déjà je ne sais plus les yeux de qui souffle le vers. Déjà à l'hémistiche transparent j'entends un autre invisible.


J'ai oublié des prénoms dans des lits de murmures. Des prénoms légers et humides comme l'eau fuyante d'une averse. L'ordinaire boit à ces nuages là. La morale en vide le bassin. L'esquisse de la voix s'atrophie jusqu'au silence. Déjà nos pas ralentissent et n'iront pas jusque demain. Le futur ne vous attend pas, amour d'un temps déjà usé. Vos goûts de mûres et de myrtilles ne laissent que des reflets d'indigos. Le jour me happe.

 

Mes amours cueillis dans le tard sont des fleurs fragiles ; le matin les fane.

 

Il y a des peurs souterraines qui les poussent hors de la terre muette. Le pleur d'une nuit où la grâce ne se gâcherait pas dans les bras d'un poète, où la paupière de muse ne libérerait pas son poison en les bouffées de son frémissement, ricoche dans la Seine. Si vous cherchez les éphémères syllabes que le soupir éteint, dont les voyelles brûlent en un soir, se cassent en un cri, suivez les psaumes inquiets du samedi, la liturgie des verres entre eux heurtés. A la corniche de ces joies le passant voit des prénoms aux yeux tristes d'amante trompée. Et les yeux obscènes se cachent sous leurs sourcils.

 

Des colères de tous les âges cassent dans les berges mortes. Les noyés y rient, les péniches y baignent. Et tous ces sentiments remuent dans le courant disjoint des joies de Paris..

 

Mes amours sont américains, ils n'ont pas d'Histoire.

 

Je voudrais, détourner la pâleur de matin enneigé qu'on trouve dans tes yeux, monter de mes rimes régulières des digues légères, durcir les argiles de dessous le silence, unir des gestes abandonnés en des hauteurs suffisantes pour irriguer ces fleurs maussades que j'abrite dans moi, que tu leur offres ce teint indien qui sous tes yeux soulignent un peu du futur que je délaisse. Tu chantes avec ton flot de détresse, tu danses avec tes iris bouclés de chaleur, tu meurs enfin, avec le sommeil qui t'entrave et prive ta beauté du mouvement qui la parfait. Et tout ce corps détaché des pudeurs adultes, des politesses légales, et tout ce corps rendu à sa cruauté primitive, j'attends que sous l'ombre de ma crainte d'enfant-loup, tu l'oublies. Je le dévorerais avec des mots gentils. Je leur mettrai des ongles de fille-sages, et des bouches de nourrisson. Je te ferai les délits doux comme la grêle fondue, tu pourras y frémir si le mot de soleil ne perce pas trop fort le grillage de tes cils.
Il y a des pays qui naissent sous le soleil des mirages, qui réfléchissent contre les bosses de mercure les symphonies muettes que poussent les songes. Je t'ai rencontrée souvent dans ces Eglises que je fais avec les rares pierres de mon sommeil, je t'ai salie la main jusque sous la nef, et la lumière, à travers le vitrail changeant, jetait ses mythes d'enfer, des angelots rapiécés par des pages de cantique te faisaient une gloire. Ils renversaient les sacrements pour toi, les réunissaient dans la splendeur de leurs voix tachés de péchés. Contre tes habits mouvementés l'orgue jouait, le lierre s'éveillait et tes tourments résonnaient sacrés comme l'heure des messes des Pâques. Agenouillé, j'attendais ton doux murmure. Cet adoubement trois fois sacré.

 

Je peux t'aimer avec mes caprices d'enfant, défaire ta tresse, mordre dans tes joues. Te dire des mots si fragiles, que tu nous serrerais eux et moi sur toi, nous rendant de ta chaleur humaine.

 

Reste le monde, c'est si peu.

 

Pourtant, il faut déjà que je te laisse à la nuit, au sommeil, à ces paysages qui te jappent les yeux et dont au réveil tu me décomptes les sortilèges, les charmes, les manières, et les figures d'hostilité qui s'y figent. Autour du feu de ton corps, crépitent les images exhalées du songe. Dans les mouvements de ton visage, ses stupéfactions, ses pétrifications, ses hurlements sans bruits, se désordonnent toutes les légendes, toutes ces rencontres, et ces amis qui pour une nuit vivent dans les replis de toi, que le rêve anime depuis la subtile matière de tes imaginations.

 

Je te laisse à cet hiver que je ne sais pas. S'il te plaît n'y prends pas froid. Je vais à mon paysage immobile que la fatigue écarquille, que mes doigts secouent, je ferai tomber de ces arbres des fruits invisibles, j'en croquerai l'écorce, je t'en laisserai la chair. Le jus fera de l'obscurité à nos secrets.

 

 

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4 juillet 2011

M.

Je t'aime comme un enfant ; un enfant doué.

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2 juillet 2011

qui a les yeux clairs me chante sa

qui a les yeux clairs me chante sa vie.google7a14aed599f1f409

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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