"Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée!
Toi que j'aime à jamais, ma soeur d'élection,
Quand même tu serais une embûche dressée
Et le commencement de ma perdition!"
Charles Baudelaire - Femmes Damnées
Sais-tu, que tu viennes toujours en éclat de quartz usé sur mes lèvres. Sais-tu, à 3h00 quand je sais que tu lis ce que je n'ai pas encore écrit. J'ai peur. Nouer le tard à mes cheveux de cassis m'angoisse. Il y a dans ce geste le pressoir des vendanges. Les mots, je les bois lentement. Comme un vaccin. J'entends tes pas. J'entends tes pas de satin, glissants, sur l'arc de la nuit, avec l'appétit des fauves dressés. Quand les bars ferment sur mes bras, j'écris au comptoir, je parle à la serveuse, qui me dit "je peux lire ?" Je lui réponds "je ne voudrais pas vous faire peur, vous n'en dormiriez pas, je ne peux inviter personne dans mes cauchemars sauf des consentants, sauf des indifférences et des romances, ce qui revient à la même chose, au même silence. Vous ne voudriez pas savoir, mes mots, sont des mots qui s'en vont. Ce sont des mots comme des oiseaux aux bec de matin, leurs chants éclairent avant la lumière les pas des rêveurs. Vous ne voudriez pas savoir, le bruit que fait mon silence quand il quitte une chambre d'hôtel où Wendy dort, où Wendy pleurera bientôt". J'entends des pas, au milieu de ton sommeil, et je crois qu'il se trouble pareil au mien des images sauvages. Je finis d'écrire, dans ce bar ce qui sera ma névrose, le vestige de mes frissons. J'ai ri ce soir. Promis. J'ai ri. J'ai embrassé virilement une brune qui passait par là, et qui me rendait le baiser en me glissant dans la poche son numéro. Et comme tu me lis depuis ton téléphone, je finis de recopier ces lignes depuis le mien. A ceci près que tu lis pour rire comme d'une chanson idiote ; que j'écris pour être parmi la réalité autre chose qu'une odeur. Ma chair commence partout où s'inscrivent mes "je". Les hasards m'amusent. Mes nuits, je les finis sous le crachin de Paris, à l'ombre d'un merisier audacieux de nudité. Les romans tristent ont la peau humaine.
Tout me revient. Les souvenirs, la première fois, mon sourire dans la neige de son corps. Tout redevient, tout reprend. Le regard de Marguerite, et les treize ans en plis froissés. Les mains qui repassent par là. Les mains toutes chaudes de désir. A pas de loups tu glisses. Et si on avait des grands cœurs, des sauvages sur un toit de Paris. N'oublie pas ton chagrin, pense à mes étoiles. L'optimisme de l'évidence. C'est une visite guidée, dans cet amour. La famille qui repose sur les yeux. Ton chemisier plié au col, on t'a aimée trop fort, quand je n'étais pas là. Je ne sais plus aimer. D'un amour je n'ai pas guéri. Vieille plaie malade, ma poitrine siffle comme l'eau chaude du thé. Dans les prénoms usés de ma poitrine, sur mon coeur dur d'écorce, l'un demeure tout vif et douloureux. Il se débute par la majuscule commune de Mal. Par sa syllabe même. Ma---- Tiens moi la main, le corps, les jambes, marche, ouvre et brûle, et toi, offre-moi une petite robe de fête. Demain je suis une fille, j'embrasse les paumes d'un homme. Comment c'est d'être artiste ? Douloureux. Je ne te supporte pas. La présence des mots m'étouffe. Aujourd'hui, je serai très heureux de parler de toi. Tu disais "comme tu t'emportes, tu t'emportes c'est n'importe quoi", je répondais "oui mais la colère c'est moi". Comme la chanson. Comme mes yeux qui se taisent, accaparés par les souvenirs. Comme. Les rues fermées en paupières de silence. Comme l'impatience. L'impatience d'une évidence. L'absence. Tout ce que je sais de toi m'effraie, tout ce que je sens de toi me tue. Ton parfum, ton souvenir et mon oubli. J'oublie les gens, j'oublie les amours, je les mélange à d'autres amours, et l'on me dit "beau personnage, cette Marie". Je prends peur. Je ne me souviens plus, le visage originel. Je ne me souviens plus. Sélimée, j'ai oublié. Le premier prénom. La première larme de la cascade. Je ne me souviens plus. Les yeux vrais.
Il y aura toujours des malheureux. Qui ne savent pas voyager. Qui se déplacent. Il y en aura toujours des coeurs déçus. Il y aura toujours un coin fragile dans une maison. Où il ne faudra pas revenir. Chacun quelque part a ses treize ans gonflés d'horreur. Bubon. Il y aura toujours la première poitrine à embrasser et des lumières qu'on allume trop tard. Des fuites qu'on ne fait pas. Des mots qu'on retient. J'ai été à la meilleure école du crime ; celle des victimes. Des peaux trop blanches qui dégoutent les vagues, des jours qui ne se fondent pas, et les bouches qui annulent des mots. Toujours, la tristesse des mouvements. Il y aura toujours la durée de l'instant qui s'écoule et nous échappe. Les sommeils qui remuent la nuit. Il y aura toujours là bas, mais jamais ici. Ici, on creuse les grimacs et les yeux brûlés. Tu te souviens, de ton enfance à genoux dans le contre-jour, jamais ici tu ne trouveras de garçons comme moi qui pleurent sur la lune en tapant du pied les écarts des oiseaux sur leurs routes. Jamais ici, avec moi, tu ne verras de soir qui glousse, ou de mer sans fins, jamais ici, tu ne fermeras de portes, jamais ici, tu ne te reconnaitras. Il y aura toujours des écrivains pour te rappeler qu'il y aura toujours des malheureux là bas. Votre bonheur est insupportable, petite.
Je supprime les études nocturnes, quand le coeur bat de ses couleurs. Je m'annule dans les rideaux de la vie qui ne s'ouvre que sur le soupir d'une scène trop connue. Les corps rouges sur ton sexe Pauline, ils ont vu le champ d'orgie et de voix libératrices. Je me place devant toi pour t'épargner, ce ballet d'images fatigantes, coeur qui palpite sur le bord d'un éventail sans années, que j'agite pour souffler l'air de tes reflets, parce que mes yeux suent de notre mort. De la sentir remuer en moi, m'a habitué à son souffle tendu de précipices. La mort, je peux vous raconter le cauchemar qu'elle fait. Celui de me prendre. Celui de découper la chimère de mon corps, la mort dit « comment m'habituer à un corps que le sommeil, mon petit frère, ne visite pas ». La mort a dit « Jonathan est un château hanté, une absence, une douleur, c'est un dongeon plein de monstres inconnus ». La mort s'est endormi dans les draps du petit frère. J'attends son éveil, je monte la couverture, je baise son front de mes lèvres trempées de larmes ou d'alcool.
J'embrasse mon enfance à genoux, qu'aujourd'hui je peux toucher du bout de la langue. Position fanée. A part ça, je ne vous répondrais pas. Je suis l'incendie semblable de mon image. Je traîne sur mon pont, des animaux domestiques, qui ressemblent à...toi, petite vierge. L'amour est poli, il s'excuse d'être en retard. Il construit le bruit dans mes mains. Je joue la danse vertébrée qui perd l'haleine sur les cordes lunaires. Je joue et on me regarde avec des doigts de plume. J'aime que l'on se moque de moi. Quand on me dit le refus "je ne comprends pas, tu es un autre". J'entends, l'incompréhension. Je suis malade. Malade. Mais tu ne comprends pas toi, qu je suis dans l'incompatible. Dans l'écriture. En plein dedans. Je suis dans ce qui se dénoue, ce qui engourdie. Ce désir là. Dans cette peau là. Trop tiède. Je te jure, j'essaie. D'arrêter. L'écriture. De stopper sa vague fragile. De mettre des remparts. Des sacs de sable d'amours trépassés. J'essaie. La digue de l'amer. J'essaie. Je veux arrêter. Je redeviendrai l'enfant innocent,je redeviendrai celui que tout le monde dit, je serai la chose commune. Mes nerfs se tairont, mes yeux ne verront plus les folles images que la réalité me montre comme un vendeur à la sauvette. Les horloges de bois, les montres d'osier, et les statues de muslces. J'irai sortir la nuit, sans vous étudier, j'irai sortir dans vos bras sans recueillir vos parfums dans des tubes à essai. J'irai. Dans mes études, j'irai dans les livres sans violence. J'aurai le corps de la réussite. Un corps de femme. J'arrêterai d'écrire, et je vivrai comme vous. Diplômez moi de l'usage. Gâtez moi de l'ennui. Guérissez moi de la nausée. De vos âmes finies. Ne plus sentir. Ne plus savoir. Des pensées en ordre. Oui. Des pensées prêtes à l'emploi, qui se déballent. Donnez moi une épouse, un bureau, donnez moi ce qui me manque, je vous donne l'écriture et la toute puissance des ses images, je vous donne ses lacs de fièvres, et ses joncs de fillettes, je vous donne ses muscles liquides, ses lumières froides, je vous donne son ombre croisée et son ventre de prières, je vous donne toute ma richesse, je vous donne les chromes infidèles de la nuit et les peaux mortes des tambours pour la mendicité de vos nuits berceuses. Prenez moi dans vos mains de grenier, couvrez moi de vos grisailles. J'ai froid ici ! froid d'être, de sentir, de voir des images fraiches et nouvelles. Dans l'écriture, c'est plein de végétations, de forêts élégantes. On regarde les cris sur les draps. On me regarde et je remets la forme de mon visage en place. On me regarde et je fredonne un air qui gesticule vers le soleil indifférent. Celui qui me tourne le dos chaque nuit, celui qui place la lune comme un oeuf dans l'encrier de mon ciel. Je révolte le matin comme un cendrier des neiges. Je révolte les morts par habitude. Je balance mon alphabet au premier qui bat ma mesure. Je noie le feu de mes lèvres qui remuent qu'aujourd'hui c'est solitaire. Je prends le monde par les jambes, je le ruine en public, je suis la muette création, le vestige de vos hontes, et les doigts caressent cette échelle qui valse, du toit de la pudeur Littéraire. J'ai le parfum d'un cigare éteint.
Avec mes yeux ronds comme le monde, noirs comme la nuit, D., je te prépare des souvenirs.
Par paresse je me suis mis en retard de ma propre vie. Attendu à des quais en lierre, des trains déjà partis. Je me suis mis les pieds au vent, et les cheveux à la goutte de ciel. J'ai dans les yeux, cette attente étourdie. Je me suis mis en retard à la place saint-paul.