Ce prénom qu'entrechoquent les enfants.
Oh ma petite, oh tes yeux doux, oh la douleur qu'il y a dans qui à ton cou s'éteint, s'éteint et il y balbutie une lumière étrange. C'est ta peau qui bleuit, c'est tes veines qui s'y montrent. Et cet argent à ton cou dans sa maille frissonne et de ce teint malheureux on comprend tout ce que tu as captivé de sourires étrangers. Pour cet éclat, oh petite, oh petite, combien de rires se sont tus ? Combien de salives frelatées ont mouillé leurs lèvres-mères ?
Tes talons sur le parquet du monde inondent, inondent, buée de sortilège, et tu entends, c'est le point du jour qui éclaircit sa voix, c'est l'orage dans l'enclume qui libère son cri. Dans la poussière du matin. La brume, la brume, c'est la poudre qui titube du visage maquillé de l'aurore. Oh, ton prénom, oh ton prénom, souvent je le fais hurler à qui n'entendra pas. Ton prénom que je murmure dans le mouvement de mes doigts fins, de ces gestes de poésie amaigrie, dans le balancement de mes mains adroites de t'écrire. Ma vie je l'offre, je l'offre à la nuit, aux yeux sobres, je l'offre à qui n'a rien vu du miracle et du rugissement muet dans toi, aux rouages plaintifs, aux veines pleines de fleurs incertaines et de larmes incrédules. Et toute ma faiblesse dans le croassement de mes paupières.
Je veux que tu détaches de ta lèvre cette perle que le baiser, je veux que tu brises ce collier d'amour trop bien tressé, cette nudité de manuel. Décoiffe ta vie. Décoiffe tes façons, laisse toi faire par l'hystérie du jour neuf. Ta peau gorgée de mythes, j'y croque ce que tu voiles, j'y bois ce que tu saignes. Liqueur secrète par la colère tirée. Tu découvres déjà comme ça peut fondre vite une vie sur la langue d'un amoureux. Hostie humaine, miette de couleur.
Si tu te lèves de la politesse, tu peux tout faire. Tu vas, déranger le paysage, dégrafer le corsage des constellations et les faire pour nous s'écarquiller les flancs -ardents. Défais de ton rire tout ce qui n'a jamais puisé au désordre, je dis les arbres, les professeurs, je dis la science et les jours sages de septembre. Pleure dans ce lointain. Tu affaisses du mouvement grave de ton œil trahi, l'horizon. Il penche comme le bout du monde où la joie bascule dans le noir et s’enténèbre. Où les mains tâtonnent et butent sur le vide. Je veux voir cette autre lumière que le monde prend si tu y entres, si tu y hurles si tu y aimes. Donne lui un fragment de la vie que tu abuses, donne aux roses contrefaites les saveurs amères de tes cheveux teints de siècle, entre dans les Eglises les mains chargées de magnolias, et annonce la vraie nouvelle. Tu es là, et tu vas, sur toutes les bouches croyantes, mettre un baiser, sur tous les visages endormis, les cernes immenses de la littérature, dessiner.
Et moi, quand tu feras tout ça de ta vie, quand toute ta grâce irritera le ballet, quand toute ta vie aura pris sa note à l'Opéra, son teint à Chopin, moi, moi, et bien je me rangerai avec la nuit dans le réduit où elle apprend son texte et sa larme. Je me mettrai à ses côtés pour travailler les pleurs, pour devenir la peur, le silence et puis cette ombre, cette autre que toi même. Je dirai, quand toute la gloire t'aura fait une robe de mariée, qu'autour de toi l'aubade des merles te fera une traîne, je dirai regarde moi s'il te plaît. Tout le monde t'écoute vivre, alors il faudra me voir suffoquer. Et je mettrai à mon agonie toutes les fleurs tristes que la rosée ignore, je ramasserai la peur des orphelins, je gonflerai ma voix et mon cri des lois qui assèchent l'enfance. J'emplirai mon poumon de ces eaux malades où périssent les noyés. Jusqu'au bout je serai un spectacle qu'on insulte, jusqu'au bout je serai une scène qui outrage, et, de transformer l'estrade en catafalque, le scénographe muera en curé. Jusqu'au bout il faudra me regarder m'étonner sur le parquet invisible de la mort, regarder mon corps atteindre la transparence. Trois fois, trois fois de mon agonie le râle jaillira, et trois fois la marée avec moi engloutira le ciel. Trois fois les arbres pencheront les doigts dans la nuit . Trois fois, ton prénom dans moi resplendira.
Tu sentiras toujours bon maintenant. Tu sentiras le vent frais de la nuit, l'haleine de l'excès, tu sentiras le vin renversé de la fin des noces. Tu iras dans toutes les fêtes, tu ouvriras tes grands yeux plein d'impressions hirsutes, petit cinéma muet. On y verra le sexe tendu de Jean Genet, et les vieilles filles diront « c'est de la pornographie » et tous les autres auront dans le soupir ce mot insensé, et personne ne saura que tu es petite fille dans des pose de Madame.
C'est déjà la fin. Le parapluie se referme. L'eau fait briller le trottoir. C'est déjà la fin. Et dans cette chanson le destin venu se mirer part sans un mot esquisser. Et il devra leur dire pourtant à tous ceux qui veulent encore un nom. Il devra leur dire ces enfants changés en pierre au toucher du désir.
Son pas n'est plus rien. Son pas qui était fredaine, qui était insolence. On le trouve déjà, sur ce banc, dans ce jardin enclos, à mendier, il a faim d'espoir, le destin, le ventre si vide qu'il gargouille de peur.